Le cas du cinéma
Pour des raisons évidentes de chronologie, Conrad n’est pas
concerné par la question du cinéma[1] ; pour les deux
autres toutefois, le cinéma appartient à l’imaginaire et infuse le récit, et
offre des points de comparaisons avec la réalité. Ainsi, dans L’Acacia, c’est « le sifflet de la
locomotive [qui] fit entendre une sorte de hululement plaintif, lugubre, répété
deux fois, rappelant le son qu’émettaient les locomotives dans les films se
déroulant au Far West » (p.190) : les souvenirs cinématographiques du
narrateur viennent se mêler aux souvenirs réels du brigadier, et donne à ces
derniers la profondeur, c’est-à-dire la parfaite adéquation entre le son et
l’image, et la nécessité qui règnent dans le cinéma. La comparaison est au
service d’une personnification de cette locomotive qui est permise par le
rapprochement avec le cinéma : cette locomotive dégage une vraie force
signifiante, de même que, dans le cinéma américain, elle arbore plusieurs
significations (le départ, l’espace, la civilisation occidentale, …).
Toutefois, la concordance du cinéma avec la réalité ne tient pas, surtout après
l’expérience de l’absurdité de la guerre. La perte de l’illusion
cinématographique est par exemple décrite par le narrateur du Cul de Judas :
[…] encore aujourd’hui, savez-vous, je sors du cinéma en
allumant ma cigarette à la façon d’Humphrey Bogart jusqu’au moment où la vision
de ma propre image dans une vitre m’enlève mes illusions : au lieu de
marcher vers les bras de Lauren Bacall, je me dirige en fait vers mon quartier
de la Picheleira, et l’illusion s’écroule dans le fracas lancinant des mythes
défaits (p.41)
Progressivement, l’euphorie créée par le cinéma, en ce
qu’elle permet au spectateur de sortir de lui-même pour entrer dans le monde
cohérent et mythique, construit par des figures canoniques, du cinéma,
disparaît au contact de la réalité, d’abord par le reflet de lui-même, puis le
retour à la vie contingente. Pareillement, le brigadier, revenu dans la ville
familiale, est tenté par le cinéma : « Cinémas !... Mais bien
sûr ! Des aventures… Pourquoi pas ? » (p.348). Mais on sent
poindre l’ironie, au sens où l’aventure présente dans le cinéma est absente de
la réalité : dans cette dernière, les événements n’ont de valeurs qu’en
eux-mêmes et ne peuvent s’inscrire dans une continuité similaire à celle qui
régit les œuvres cinématographiques. D’ailleurs, le cinéma est ensuite
abandonné : « Un soir il entra au cinéma d’où il ressortit dix
minutes plus tard » (p.366) ; le brigadier ne peut plus supporter
l’illusion cinématographique mensongère, après l’expérience terrible qu’il a
vécue, notamment dans le camp de prisonnier.
La relation
entre littérature et cinéma chez les ces deux auteurs reste ambivalente, en ce
que le cinéma est trop falsificateur vis-à-vis de la contingence de la réalité.
La
référence littéraire : Sartre, parlant de sa vision du cinéma lorsqu’il
était enfant : « C’était la Destinée […] Quelle joie, quand le
dernier coup de couteau coïncidait avec le dernier accord ! J’étais comblé
[…], je touchais à l’absolu » Les
Mots. Simon et Lobo Antunes rejoignent Sartre dans ce rejet du cinéma,
exprimé par l’ironie dans Les Mots.
[1] Même s’il a donné lieu à une
magnifique adaptation cinématographique : Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola.
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