Mythes et démythifications



      Il existe différentes échelles d’influence des mythes. Ils peuvent être nationaux, personnels (les lieux idylliques de l’enfance dans Les Confessions de Rousseau par exemple), ainsi que familiaux. C’est sur ces derniers que l’on commencera l’étude des mythes dans les œuvres au programme. L’œuvre, en faisant part des mythes, permet à celui qui l’écrit de s’en distinguer, et d’annuler leur influence sur sa propre personnalité. De fait, L’Acacia raconte les ascendances familiales du brigadier, de sorte à faire ressortir les valeurs portées par les branches maternelle et paternelle, fruits d’une tradition, reposant elle-même sur des ancêtres illustres, portés au rang de mythes et de modèles. La famille du père est par exemple marquée par une « orgueilleuse tradition […] où l’on conservait avec fierté le souvenir d’un arrière-grand-oncle » (p.69) qui s’était caché pendant la mobilisation napoléonienne. Il est intéressant de voir que Simon relate cet héritage au moment où est narré l’intégration à Saint-Cyr du père, c’est-à-dire une école militaire, à l’opposé des valeurs familiales : c’est une façon pour Simon de réclamer également pour lui-même, l’émancipation du père vis-à-vis du carcan familial. L’étude des mythes familiaux chez Simon permet également d’exprimer l’incompatibilité sociale et culturelle entre ses parents, mais, par la même occasion, la possibilité pour lui-même de s’affranchir de ces valeurs opposées : «  d’un côté l’arrière petit-neveu de l’insoumis  […], de l’autre l’arrière-petite-fille du général d’Empire » (p.122), c’est-à-dire la mise en place d’une contradiction entre le mythe d’un résistant à l’autorité, particulièrement celle de Napoléon, et le mythe d’un général ayant participé à la légende et à l’épopée napoléonienne. Chez Lobo Antunes aussi, le mythe familial est rejeté, par la dépréciation de tous ses artefacts et des valeurs qu’ils comportent, à savoir le respect de l’ordre et la soumission au régime, ou encore les valeurs guerrières et virilistes dont sont nourries ses tantes[1]. Ainsi sont mentionnées, dans le salon familial, les « photographies de généraux furibonds décédés avant ma naissance » (p.19) : première mise à distance par l’éloignement temporel et l’usage de l’adjectif péjoratif « furibonds » ; puis le narrateur s’attarde sur le général Machado, d’abord décrit comme « une sorte d’antipathique pompier moustachu », première dégradation, lequel a laissé des médailles, des trophées « auxquels ma famille semblait vouer une vénération comme à des reliques » (p.42) : la critique du mythe familial se déplace du personnage lui-même à ceux qui entretiennent le mythe, le perpétuent, c’est-à-dire sa famille. Rejeter les mythes familiaux, c’est rejeter ce que la famille a voulu faire de lui, et donc affirmer son originalité et son indépendance par rapport à ce type de déterminations.


        De même que l’identité grecque antique a pris naissance dans le récit mythique de la guerre de Troie, de même il a fallu, pour les nations européennes, construire ses propres mythes, notamment pour justifier la colonisation. Chez Simon, la désignation de « l’ogre » pour parler de Napoléon revient de manière récurrente[2] : c’est une façon à la fois de mettre à distance le mythe napoléonien par la dérision, au sens où celui-ci n’est désigné que par cette appellation disgracieuse, et de démystifier ceux qui y adhèrent, en faisant de la vénération de l’épopée napoléonienne une sorte de superstition, comme on pourrait croire aux créatures fantastiques tel l’ogre. Chez Lobo Antunes, l’attaque est plus frontale, et concerne surtout la soi-disant essence de voyageur et de colonisateur des Portugais : « évidemment nous sommes, et avec quelle fierté orgueilleuse, les descendants légitimes des Magellan, des Cabral et des Vasco de Gama » (p.119). On voit comment le narrateur se détache de l’héritage, construit a posteriori à partir de ces figures mythiques pour justifier la nature exploratrice de l’Etat portugais, et, par extension, de la colonisation, par l’usage de l’article défini, et ce au pluriel, qui met à distance le personnage historique et empêche l’identification. On retrouve quelque chose de similaire dans le long discours introducteur du narrateur premier sur la Tamise, et son courant, qui « avait connu et servi tous les hommes dont la nation est fière, du chevalier Francis Drake au chevalier John Franklin » (p.25). Sous une apparente adhésion à ce discours, Conrad s’en détache par la force signifiante de ces noms, désignant des corsaires qui, malgré des services rendus à la Couronne, sont des figures très controversées de l’expansionnisme anglais, et la glorification par la mention du titre de chevalier contient l’ironie implicite du passage, en ce qu’elles désignent des bandits, sans noblesse. Encore une fois, c’est une façon pour Conrad de remettre en cause subrepticement les principes qui ont construit l’Empire colonial Anglais, ainsi que toute l’entreprise coloniale européenne, et ce, par la déconstruction d’une historiographie mythique, idéologique et faussement légitime.


    L’exemple le plus flagrant de la contamination de la réalité par le mythe est la réflexion sur la mort du père. Si elle entre dans la thématique du theatro mundi, elle est aussi un exemple du fonctionnement du mythe, qui permet de dépasser la contingence de la mort, et répond au « besoin de transcender les événements auxquels ils avaient plus ou moins directement participé […] dans le seul but inconscient de les rendre conformes à des modèles préétablis) » (p.320)[3]. La vision d’un individu peut également être modifiée par des constructions mythiques ; ainsi, la mère du brigadier, lors du séjour, se croit « transportée dans un primitif Eden, un primitif état de nature » (p.141). Simon nous montre ici comment plusieurs strates de mythes déforment le regard de la mère vers des dérives racistes[4] : se confondent le mythe biblique de la Genèse, le mythe rousseauiste de l’état de nature ainsi que toutes les représentations soi-disant ethnologiques sur les peuples des pays colonisés. À ce propos, le narrateur du Cul de Judas n’échappe pas totalement à ce type de considérations, lorsqu’il évoque

[…] la tranquillité immémoriale des noirs, pour qui le temps, la distance et la vie ont une profondeur et une signification impossible à expliquer à qui est né entre des tombeaux d’infantes et des réveille-matin, aiguillonné par des dates de batailles, des monastères et des horloges pointeuses (p.48)

Même si ce passage se veut à la gloire du peuple angolais, le fait de placer ce dernier dans une vision du temps qui serait non-dialectique (« immémoriale ») et dans une sorte d’immanence (« une profondeur et une signification impossible à expliquer ») face à la dialectique de l’Histoire européenne, marquée par la mesure du temps et des dates déterminantes, revient à sortir le peuple angolais de l’Histoire, et à l’installer dans une sorte de primitivité perpétuelle[5]. Dans un autre ordre d’idée, mais avec le même effet, c’est la vision biaisée des mouvements salazaristes quant à la réalité des envoyés en Angola qui illustre la perniciosité du mythe, ici celui du héros idéalisé : toutes les organisations affiliées au régime « pensent à nous », notamment la Jeunesse Portugaise qui « pensent à nous en préparant tendrement les héros qui nous remplaceront » (p.84).


       Plus que mettre en lumière la nature des mythes afin de les exorciser, l’écriture va également les attaquer de front. Dans L’Acacia¸ cela passe par le rétrécissement qui déclasse l’image mythique. De fait, le récit met en regard deux images : la statue énorme du général Kellermann située au milieu du plateau de Valmy, où a lieu la cérémonie de décoration du régiment du père : « le soldat de bronze continuait à élever vers le ciel son épée […] poussant son cri de bronze, figé […] dans une attitude d’élan, d’enthousiasme et d’immortalité » (p.58), image glorieuse, épique, sublimée notamment par le rythme ternaire finale avec une gradation méliorative, finissant sur l’immortalité. Mais cette image est a posteriori dégradée par celle d’un cavalier en pleine chute, « comme un de ces cavaliers de plomb dont la base, les jambes, commenceraient à fondre » (p.298). Le rétrécissement de l’image glorieuse du cavalier ainsi que la comparaison avec un jouet opèrent la démythification de la représentation épique du cavalier se dressant sur sa monture. En outre, la comparaison avec un soldat de plomb permet de relativiser également l’image du « soldat de bronze », et pousse à réinterpréter la description a priori triomphale de ce dernier comme une pointe ironique. Chez Lobo Antunes, le contraste est aussi une arme littéraire pour démythifier la réalité, et surtout celle d’Angola, qui diffère des descriptions élogieuses tirées de son éducation :

[…] l’idée d’une Afrique portugaise dont me parlaient, en images majestueuses, les livres d’Histoire du Lycée, les harangues des politiciens et le chapelain de Mafra, n’était finalement pas autre chose qu’une espèce de décor de province pourrissant dans l’étendue démesurée de l’espace (p.132)

On retrouve d’abord la critique de la cible prioritaire du narrateur du Cul de Judas¸ à savoir la mise en place d’une propagande cohérente entre les diverses autorités publiques, intellectuelles (« les livres d’Histoire »), religieuses (« le chapelain de Mafra ») et politiques (« les harangues des politiciens ») ; mais celle-ci est contrecarrée par l’opposition entre le registre mélioratif et péjoratif, entre les « images majestueuses » et « l’espèce de décor de province pourrissant », qui opère une forte dégradation du mythe premier.
Parmi les constructions mythiques du régime salazariste, le narrateur prend également pour cible celle de la guerre comme seul moyen pour un homme de prouver sa virilité, par le biais d’une violente attaque contre Salazar lui-même : « Cher docteur Salazar si vous étiez vivant et ici je vous enfilerais une grenade dégoupillée dans le cul » (p.121). On assiste ici à un retournement des valeurs salazaristes puisqu’il s’agit d’utiliser l’homosexualité contre ceux qui la diabolisent, combattre Salazar par ses propres mythes (sans y adhérer pour autant), ainsi qu’un moyen d’exprimer la colère vis-à-vis de ceux qui prêchent la guerre sans jamais y participer[6]. De même, Simon compare l’Histoire à une « vieille ogresse », comme une réponse à Napoléon désigné comme « l’ogre », qui digère les morts puis les expulse par « son anus ridé » (p.236) : comme pour Lobo Antunes, l’Histoire, et donc par conséquent la guerre, est vidée des mythes héroïques essentiellement masculins, et dégradée par une personnification avilissante et tournée vers le bas-corporel.


        L’ironie, qui est la mise à distance par le locuteur de son propre discours, est un autre moyen de renverser le mythe, à la fois pour soi-même et pour le lecteur, qui est pris au piège s’il adhérait au discours visé. Ainsi, le narrateur du Cul de Judas, à la fin du chapitre E, développe une prolepse fictive sur lui-même, où il deviendrait « la digne statue en bronze du mari et du fils idéaux », entraîne le lecteur avec lui dans ce long passage ironique, et qui prend toute sa force à la dernière phrase : « je serais montré en exemple à des petits-enfants indifférents qui considéreraient avec ennui la morne absurdité de mon existence » (p.59). Même si cela était pressenti, le narrateur révèle le caractère ironique et donc la critique des représentations familiales et nationales du bon citoyen, auxquelles il prétend adhérer pour mieux les détruire. L’ironie est également très présente chez Conrad comme arme pour déjouer les mythes qui accompagnent la colonisation, particulièrement celui de la civilisation des peuples. Pendant son entretien avec sa tante, Marlow comprend son rôle : « Je découvris que j’étais aussi l’un des Bâtisseurs, avec un B majuscule, figurez-vous » (p.61). Conrad ridiculise ici l’idéologie colonialiste, qui prétend participer de la construction d’une nouvelle humanité dans les territoires colonisés, ici par l’insistance sur la majuscule qui montre la caricature que constitue cette image du « Bâtisseur », ainsi que la prise à parti connivente de l’auditoire ; l’ironie fonctionne ici par mention. Ailleurs, c’est l’adhésion d’un indigène à l’idéologie coloniale qui est l’objet des railleries de Marlow : « Il parut m’associer à son exaltante mission » (p.77), l’ironie fonctionnant par antiphrase sur l’expression « exaltante mission ». L’ironie par le biais de la litote est également utilisée par Marlow pour attaquer l’idée de progrès, lorsqu’il raconte sa découverte du squelette de son prédécesseur au Congo dans un village désert. Il se demande alors où sont les poules : « Je croirais volontiers que la cause du progrès ne les a pas ratées » (p.49). Le dévoiement du progrès fonctionne grâce à la litote contenue dans l’expression verbale, mais aussi dans l’association du progrès à la disparition des poules, plus sûrement due à la famine qu’au nécessité du progrès. Simon aussi s’insurge contre l’idéologie du progrès qui ne s’embarrasse pourtant pas de la guerre, en parlant des trains qui mènent au front les soldats dans des conditions insalubres :

[…] la locomotive au soufflet moqueur, le symbole du monde mécanique et civilisé emmenant avec elle les wagons d’où ils [les soldats] avaient été extraits en pleine nuit et sous la pluie pour être déposés dans un endroit dont ils ne savaient même pas le nom (p.240)

L’ironie porte ici sur la mise en relation entre la prétendue civilisation représentée par la locomotive, et sa fin effective, à savoir emmener des soldats vers l’inhumanité de la guerre, ainsi que la désorganisation et la mésinformation complètes qui règnent durant la mobilisation.
Dans Au cœur des ténèbres¸ l’entreprise coloniale belge n’est pas la seule victime de l’écriture, et Marlow lui-même devient victime de l’ironie de Conrad. Ainsi, la fascination de Marlow face au tableau de Kurtz représentant une femme, les yeux bandés, tenant une torche[7], apparaît ridicule tant est évident le symbolisme lui-même ironique du tableau, à savoir une représentation du progrès, de la raison, des Lumières dans cette femme, mais qui avance à l’aveugle. De même, lorsque Marlow se demande si le son des tambours lointains a une « signification aussi profonde que celui des cloches en pays chrétien » (p.93), on sent poindre l’ironie de Conrad vis-à-vis du mysticisme de son personnage, puisqu’à part donner l’heure, la signification des cloches est assez réduite.


      Deux solutions se présentent face aux mythes ; soit les évincer, soit les intégrer, en leur donnant cependant une autre portée. La deuxième voie est empruntée par les auteurs au programme, au sens où ceux-ci vont réemployer les mythes pour les inscrire dans le projet littéraire de l’œuvre, et non plus dans les projets identitaires ou justifiants qu’ils arborent habituellement. Dans Au cœur des ténèbres, c’est L’Eneide, et plus particulièrement le mythe de la catabase d’Enée, dans le livre VI, pour retrouver son père Anchise, qui est réactualisé et remanié par Conrad. Le voyage de Marlow est d’emblée placé sous le signe de la verticalité : « « j’eus l’impression, non pas de partir pour le centre d’un continent, mais d’être sur le point de me mettre en route pour le centre de la terre » (p.63). Ce qui est une référence à Jules Vernes, est aussi glissement d’un déplacement horizontal vers un déplacement vertical, l’affirmation d’une descente qui est caractéristique de la catabase. Celle-ci se confirme avec l’allusion, plus tard à l’Inferno de Dante, et trouve sa réalisation à la fin du livre, avec l’image de « l’ombre tragique familière » que constitue la fiancée, comparée à l’image de la maîtresse de Kurtz au Congo, décrite « tendant des bras bruns et nus au-dessus du fleuve infernal » (p.329) ; en combinant l’image de l’ombre et celle des bras tendus, se dessine à l’esprit celle d’Enée, tendant vainement ses bras vers son père :

Sic memorans, largo fletu simul ora rigabat
Ter conatus ibi collo dare brachia circum,
Ter frustra comprensa manus effugit imago,
Par levibus ventis volucrisque simillima somno. (VI, 699-703)[9]

Il est intéressant de noter que le fantôme d’Anchise est comparé à un « songe qui s’envole », c’est-à-dire inaccessible, de même que Marlow comparait son aventure à un rêve[10]. Si, pour Enée, la catabase est la prise de conscience de l’absence du père et donc de sa nouvelle responsabilité du peuple romain à venir, elle est également pour Marlow un moment d’introspection, qui débouche sur la prise en compte de ses propres ténèbres. Pour le narrateur du Cul de Judas¸ c’est un mythe national qui est repris pour le vider de sa portée propagandiste et lui donner une force poétique. Le narrateur, dans le chapitre Q, reconnaît la nudité de son appartement, mais il la vante car elle permet de rêver, « un rêve à la manière d’Henri le Navigateur, fait de mers inconnus » (p.143). Le narrateur se réapproprie la figure mythique du grand explorateur portugais afin de la convertir en un exemple d’exploration non plus du monde mais de l’inconscient, du rêve, de la part d’inconnu qui existe en chacun.
Plus que la réappropriation, les auteurs se livrent également à l’élaboration de nouveaux mythes, et, plus particulièrement, celui de la nature, personnifiée et glorifiée chez Simon comme chez Lobo Antunes.
Celle-ci, dans L’Acacia, entre dans un jeu de contraste avec la vie humaine ; elle engloutit les cadavres du champ de bataille « avec cette imperturbable et vorace bienséance […] sans que rien de son ordonnance […] ne s’en trouvât affecté, […] avec cette même somptueuse indifférence, cette pérennité » qui s’opposent aux explosions « dérisoires, anecdotiques » (p.42) des hommes. Une discordance se construit entre d’une part l’éternité de la nature, son indifférence face aux événements, et, d’autre part, le temps humain, anecdotique, linéaire, éphémère, ce qui conduit à la disparition du second dans la première. Plus tard, dans le chapitre X, il est question de la « riante nature printanière » (p.281) face aux tirs de canon, c’est-à-dire la continuation et la réalisation de la personnification de la nature comme entité presque consciente et éternelle, qui se rit de la fragilité et de la faiblesse humaine. Pareillement, la nature dans Le Cul de Judas s’oppose à la guerre humaine. Le narrateur dit l’horreur de la guerre mais

Et cependant, il y avait la quasi immatérielle beauté des eucalyptus de Ninda ou de Cessa, qui emprisonnaient dans leurs branches une nuit dense et perpétuelle, la majesté rageuse de la forêt du Chalala qui résistait aux bombes. (p.136)

Comme chez Simon, la majesté et l’éternité de la nature, également personnifiée (« majesté rageuse »), s’opposent au conflit humain anecdotique. C’est aussi une façon pour Lobo Antunes de chanter l’Angola elle-même et non plus L’Angola portugaise, son paysage et sa richesse, en-dehors des hommes, plus particulièrement en-dehors des Portugais, et de montrer ainsi l’auto-suffisance de ce pays.
Face aux mythes officiels et familiaux, les auteurs au programme sont agressifs : il s’agit de les exposer pour mieux les contrer, et débarrasser le lecteur, ainsi que soi-même, de leur caractère pernicieux et falsificateur. Toutefois, cela ne signifie pas l’abandon du mythe pour autant, et l’œuvre littéraire offre la possibilité de sauver la réalité en créant de nouveaux mythes, avec une portée esthétique, philosophique, mais jamais idéologique.
Les références critiques :
-          « Le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d’en parler : simplement, il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité. » (Roland Barthes, Mythologies)
« […] nous ne pourrons sauvegarder la littérature que si nous prenons pour tâche de démystifier notre public » (Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1948, p.283.)


[1] Voir la prophétie formulée à l’égard du narrateur p. de ce livre.
[2] P.70 et p.122 entre autres.
[3] Première partie de la citation p. de ce livre.
[4] Voir p.
[5] L’analyse que Roland Barthes fait du film « Continent perdu » est très éclairante pour comprendre les enjeux de cette vision du narrateur du Cul de Judas : « Les légendes elles-mêmes, tout ce folklore « primitif », dont on semble littéralement nous signaler l’étrangeté, n’ont pour mission que d’illustrer la « Nature » : les rites, les faits de culture ne sont jamais mis en rapport avec un ordre historique particulier, avec un statut économique ou social explicite, mais seulement avec les grandes formes neutres des lieux communs cosmiques (saisons, tempêtes, mort, etc.) (Roland Barthes, Mythologies, Paris, Editions du Seuil, 1957, p.154).
[6] Voir aussi, p.119 : « dites-moi pourquoi les fils de vos ministres et de vos eunuques, de vos eunuques ministres et de vos ministres eunuques, de vos minieuques et de vos eunistres, ne viennent pas foutre leur gueule sur ce sable comme nous ». La colère est si forte qu’elle détruit le langage, les frontières entre les mots, et vient castrer les dirigeants ayant décidé la guerre sans jamais s’y risquer. Concernant l’image de la « grenade dégoupillée dans le cul », il faut convoquer La Nausée de Sartre, dans laquelle Roquentin fait un rêve où il a « fessé Maurice Barres. Nous étions trois soldats et l’un de nous avait un trou au milieu de la figure. Maurice Barrès s'est approché et nous a dit : « C'est bien ! » et il a donné à chacun un petit bouquet de violettes. « Je ne sais pas où le mettre », a dit le soldat à la tête trouée. Alors Maurice Barrès a dit : « II faut le mettre au milieu du trou que vous avez dans la tête. » Le soldat a répondu : « Je vais te le mettre dans le cul. » » (Jean-Paul Sartre, La Nausée [1938], Œuvres Romanesques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1981, p.72). Comme Chez Lobo Antunes, il s’agit de retourner les clichés contre ceux qui les produisent, notamment les mythes guerriers.
[7] P.115
[9] « En parlant ainsi, les larmes inondaient son visage. Trois fois il voulut serrer son père dans ses bras ; trois fois l’ombre échappe de ses mains, et trompe sa tendresse, telle que les vents légers, ou que le songe qui s’envole. »
[10] P.123-125.

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